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Pêchez à La Réunion ! Fédération pour la pêche et la protection du milieu aquatique

Publié le 30/06/2025

Les sniffeurs d’acétamipride

Je n’ai pas trouvé de terme plus approprié pour désigner l’addiction de certains responsables politiques aux néonicotinoïdes. Ces produits phytosanitaires, interdits depuis 2018 en raison de leur écotoxicité sur les abeilles, les poissons et les mammifères, font aujourd’hui l’objet d’une demande de réintroduction pour satisfaire les filières de la betterave sucrière et de la noisette.

Je ne vais pas vous imposer les centaines de publications scientifiques nationales et internationales qui démontrent rigoureusement leur dangerosité. Je me contenterai de rappeler que ce pesticide a un fort potentiel de bioaccumulation. Lorsqu’il est pulvérisé, une part importante est emportée par le vent (phénomène de dérive), tombe au sol et affecte les arthropodes – essentiels à la biomasse animale du sol – mais aussi les vertébrés aquatiques, remettant ainsi en cause toute la chaîne alimentaire piscicole. Les abeilles et autres pollinisateurs sont évidemment touchés. Les apiculteurs et arboriculteurs sont consternés : remettre ces « tueurs d’abeilles » sur le marché, c’est se tirer une balle dans le pied, me disent-ils.

Vous comprendrez donc que le responsable que je suis soit fermement opposé à l’usage de ce produit calamiteux. Il faut également rappeler que 20 % de la production de sucre de betterave est transformée en carburant éthanol, au profit d’un petit groupe d’agro-industriels liés à la grande distribution. Ces derniers, souvent dirigeants syndicaux, tirent des bénéfices bien loin des revenus des paysans, notamment à La Réunion.

Le vrai problème de l’agriculture reste le revenu des agriculteurs. J’ai souvent dénoncé le cercle vicieux dans lequel l’agro-industrie productiviste et la grande distribution ont enfermé nos paysans : endettement, pression bancaire, travail acharné de 5 h à 20 h pour un revenu dérisoire. Et pourtant, ce sont eux qui nous nourrissent, et qui tentent, autant qu’ils le peuvent, de préserver leur patrimoine naturel.

Nos agriculteurs doivent redevenir des artisans de la terre, pas des forçats au service de la cupidité. Des solutions existent pour faire évoluer notre modèle vers une agriculture moins toxique, plus vertueuse, capable de nourrir sans empoisonner. Mais cela exige du courage politique, notamment pour remettre en cause certains financements européens comme la PAC, et pour résister aux lobbies de l’agro-industrie, omniprésents dans les instances européennes. Le chantage à l’emploi n’a pas de sens : d’autres métiers, durables et innovants, peuvent naître de nouvelles pratiques agricoles. Il faudra du temps, oui, mais l’enjeu en vaut la peine.

Si nous ne faisons rien, nos campagnes seront dominées par quelques exploitations géantes, dévorant les petites. L’agriculture sera exclusivement productiviste, au service de la malbouffe, avec son cortège d’obésité, de maladies chroniques, de diabète. Il n’y aura plus de petits paysans, plus d’exploitations de proximité, et encore moins d’agriculture biologique, que certains essaient déjà d’étouffer.

Nos cours d’eau sont pollués. La ressource en eau, vitale, est chaque jour un peu plus menacée. Elle deviendra une denrée rare, et sa raréfaction engendrera des conflits bien plus explosifs que les bénéfices engrangés par une poignée de privilégiés. Les guerres de l’eau existent déjà, et elles risquent de s’intensifier avec les dérèglements climatiques. L’épisode de sécheresse ou le cyclone Garance ne nous ont-ils pas suffisamment alertés ? Le mécontentement des Réunionnais durant cette période ne mérite-t-il pas une vraie prise de conscience ? Pourtant, au lieu de mieux protéger les captages et les milieux aquatiques, on construit des usines de potabilisation toujours plus onéreuses. Et je ne parle même pas de la loi ZAN, qu’il faut imposer malgré les critiques de ceux qui ne comprennent rien à cet enjeu fondamental.

J’avais un ami, Guy, paysan dans le Var. Céréalier et viticulteur, il travaillait habillé comme un cosmonaute pour épandre ses produits phytosanitaires. Il me disait : « Si je ne mets pas d’engrais, mon blé fait 40 quintaux/hectare. Avec, je monte à 80. Mais chaque année, je dois en mettre davantage pour maintenir ce rendement. Ma terre s’épuise, je ne sais plus comment faire. » Les engrais coûtaient de plus en plus cher, il était dans une impasse. Guy est mort à 66 ans d’un cancer du pancréas. Je n’oserai pas faire un lien direct entre ces produits et sa maladie, mais son épouse, elle, n’en pensait pas moins. Il est mort dans l’anonymat, comme tant d’autres, victimes silencieuses d’un système agricole déshumanisé.

Aussi, j’ai du mal à comprendre le raisonnement de ces hauts responsables politiques qui veulent, sans retenue, réintroduire des substances reconnues toxiques par toute la communauté scientifique et médicale. Un responsable politique, c’est censé être quelqu’un d’instruit, d’intelligent, soucieux de l’intérêt général, de la santé publique et de l’avenir des générations futures. Mettre en balance la vie humaine et les intérêts de quelques exploitations privilégiées est pour moi insupportable, sans parler des dégâts irréversibles sur les écosystèmes naturels et aquatiques.

Devons-nous laisser la cupidité de quelques-uns mettre en péril l’humanité tout entière ? Car la Terre, elle, continuera de tourner. Mais que vaut la vie d’un homme pour ces décideurs ?

« Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas. »

— Proverbe amérindien

Jean Paul MAUGARD,
Président de la Fédération Départementale
de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique de La Réunion

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